vendredi 7 mars 2014

Hommes, femmes : mode d'emploi?

Je suis un homme.
J'aime qu'on me respecte, c'est dans ma nature. Je me sens homme le matin au réveil, je me martèle d'ailleurs le concept de "se sentir homme". Je suis fort, viril, et surtout je peux avoir tout ce que je veux. Tout s'obtient par force, de caractère ou physique.
Pour cela, je vis tous les jours avec l'idée de plaire. Tout le monde doit être ébloui par ce que je représente, par ce que je dégage. Un homme, un vrai, un tatoué. Je me renseigne avec délectation sur des "trucs de mecs", et je les absorbe. Mon principal allié est la certitude. Quoi que je fasse, je le fais en étant fier de moi, et de bout en bout. Surtout sans hésiter, c'est une preuve de faiblesse : je suis une montagne de force que rien ne peut atteindre.
J'ai acheté le journal ce matin : c'est mon rituel quotidien. Je ne comprends pas ces crétins qui achètent les choses quand ils veulent : infoutus de prendre une décision, de fixer les choses en place dans un carré. Dans ce journal, je lis ce que je veux : je tourne parfois plusieurs pages sans les lire : ça ne m'intéresse pas. Pourquoi irais-je perdre du temps sur des choses qui, je le sais pas avance, ne m'inspireront rien du tout ? Je lis un gros titre, et je tourne la page en humectant mon doigt. Je veux qu'on me regarde lire le journal, penser que je le fais très bien. Et ceux qui pensent que ça n'a pas de sens, je les emmerde. De toute façon, mon métro arrive : je l'attrape et m'assois à ma place, toujours la même. Pas de temps à perdre en futilités.


Hé, j'suis un mec !
Pour ça, j'dois pas m'casser la tête ! Lol l'autre jour j'ai croisé Caro, si, tu sais Caro !! Ouaiiis la fille aux Pringles ! Euh... Bah elle va bien ouais... Vite fait quoi.
Bah euh, sinon moi ? Bah, j'commence la fac c't'année ! Ouaiiis c'est cool. Ca va m'changer du lycée. Nan sérieux ! Ca craint, t'sais t'as tous les profs et tout... Tiens j't'ai pas raconté ! L'autre jour on est invité avec Fab chez euh... Chez JB ! Ouais, soirée Wii ouais. Bah là y avait Marie avec son copain et tout, et t'sais c'qui s'passe ? Genre on commence à parler et tout, et là y a Benj qui se met à parler, et bon ils ont... tu vois, enfin ils ont fait des trucs avec Marie avant... Si ! Naaan tu savais pas !! Bah si, bon ç'a pas duré longtemps hein, mais bon. Pis y a eu... Attends deux s'condes.
Allô ? Ouaiiis. Bah nan on est au métro là ! Ouaiiis. Ouaiiiis, on t'attend !
Ouaiiiis, c'tait Marc, il arrive là... Genre, r'garde, les gens ils mettent les journaux par terre comment ça se fait pas ! Naaan mesquine ça se fait pas. Ouaiiiis t'as vu hier à la télé, y z'ont dit que le chomage il avait encore augmenté ! Naaaan mais franchement c'est la merde en ce moment... Attends y a le métro là ! C'est où, c'est où! Attends on a pas pris l'bon, là ! Nan c'est de l'autre côté ! Hein ? Ah ouais ? Ah okay, ah c'est là ? Naaan le mec il se r'père pas dans l'métro, genre la honnnnnnte ! Tiens tiens vite on s'assoit là ! ha ha ha ah ha ah !


Je suis une femme.
Et j'en suis fière ! Il faut savoir être fière de ce qu'on est. Et quand on est femme, on séduit. Moi, j'adore faire ça : séduire, se sentir regardée, se sentir admirée, jalousée par les autres. Mais le problème c'est qu'il y a les hommes : ces sous-chiens ne peuvent pas s'empêcher de se conduire comme des brutes, ou comme des gamins. Il faudrait les éduquer, leur trouver des sanctions ou je ne sais quoi... Mais autant jouer avec eux : de toute façon, la dynamique actuelle nous le permet. Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais on ne sait plus trop bien pourquoi les hommes ont été dominants à une époque. La force physique ? C'est sûrement ça, mais on s'en fiche, ce n'est plus crédible à l'heure actuelle. Et c'est ça qui fait toute notre force, à nous les femmes. Qu'importe que vous ayez raison ou tort, nous nous réunissons entre copines, et nous vous rions aux nez par quinze personnes en même temps, et les gens qui se trouvent à côté riront aussi.
Mais bon. Il faut bien qu'on en profite. Malgré tout, on essaie de remplacer leur compagnie par des jouets quand il s'agit de sexe, ou par de l'argent quand il s'agit du reste, mais malheureusement, il faut bien parfois qu'ils soient là. Alors je me suis fait inviter vendredi. Beau jeune homme, sans plus mais beau jeune homme. Je lui ai fait le plan complet : concert, puis discothèque et le lendemain restaurant. Tout à ses frais, bien sûr : il faut payer pour me plaire. J'aime l'argent. Au restaurant, il avait l'air de n'en plus pouvoir. Je mangeais très peu, et rechignant à finir. Les hommes trouvent ça tellement séduisant, la petite chose fragile ! Il craquait. Ah, bref, je me suis bien amusée...
J'ai ouvert le journal ce matin... C'est malheureux ce qu'on peut y lire en ce moment : leurs élections américaines : c'est à qui se contiendra le mieux pour ne pas traiter les Noirs de Noirs ou les femmes de femmes. Parce que vous savez ce qu'il y a de pire que les machos, que les mâles qui se tambourinent la poitrine ? C'est justement ça, les lèche-bottes qui nous laissent la priorité en caisse, qui nous amadouent parce qu'on est fragiles et qu'on est des femmes... Pitoyable.
Ah, mon métro arrive. Bon, de toute manière, je balance ce journal par terre, il y a bien des gens qui sont payés pour le ramasser...


Je suis...une femme ? Peut-être, en tout cas je ne m'en sens pas l'âme.
Je suis une fille, oui. Mais bizarrement, il y a une sorte de force dans ce mot. Je sais pas, pour moi une femme c'est quand on a trente ans, non ? Vingt-cinq ? Je suis incapable de le dire.
Une jeune femme, en tout cas, même si le problème est le même avec ça. Une jeune femme qui se sent mal dans sa peau : les garçons ne me regardent pas, j'ai l'impression que dans mon école, c'est pareil. Je ne suis qu'une pauvre nulle et tout le monde s'est mis d'accord pour approuver ça. Non, surtout ne pensez pas ça, pardon... ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. En fait je voudrais partir, faire un tour du monde, changer tout ça, mais j'ai peur de rater ça. Je m'imagine déjà en parler autour de moi et entendre que je suis qu'une pauvre cruche, et que j'ai que des idées à la noix.
Tiens, lisons le journal, ça me changera.Pfff... Quelle idée j'ai eu là : je suis encore plus terrifiée. C'est étrange, j'ai beau voir qu'ils y mettent plein de couleurs pour attirer l'oeil, ce que j'y lis me terrorise, tous ces chiffres, ce malheur, ces langages hermétiques complètement incompréhensibles... J'en ai la tête qui tourne. Vite, un médicament. Je me sens trahie même par ce bout de papier, qui m'a aveuglé de jolies formes et de couleurs, pour mieux m'effrayer après. C'est terrible, pourquoi les choses sont-elles faites de façon si injuste ?
Et tous ces gens sur ce quai, attendant le métro. Qui me dit qu'il n'y a pas un tueur dans le lot ? Ou quelqu'un qui aurait simplement passé une mauvaise journée, et qui serait prêt à tuer d'énervement ? Et moi, je regarde les gens en plus. Quelle imbécile ! Non, surtout ne dévisage personne, ne leur souris pas, ils prendront ça comme une agression. Regarde tes pieds, regarde les murs, je ne sais pas... Sors ton téléphone ! Voilà. Il y a peut-être une chance qu'on te le vole, mais au moins, ça fait fille occupée, voire même occupée avec son copain, donc ça évite les pervers. 
Ouf, le métro arrive. Mon Dieu que c'est sale. Trop sale pour s'asseoir... Et puis zut, je suis fatiguée, j'ai besoin de m'asseoir. Vite, proche de la fenêtre, je pourrais regarder au travers. Ah, il y a quelqu'un? Bon, tant pis, je resterai debout. C'est bien.

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