vendredi 7 mars 2014

Candy crush

"Objets inanimés, avez-vous donc une âme?"
J'ai récemment entendu ce vers d'un auteur inconnu. Je ne connais pas d'auteurs, pas plus que d'ouvrages, car de mémoire, je n'en ai connu aucun.
Je ne vous dirai pas tout de suite qui je suis. Car sitôt que vous le saurez, vous voudrez me tuer, me déchirer en mille morceaux. Je préfère ce moment où vous me désirez, où vous ne connaissez ni mon nom, ni mon goût. Mon destin est cruel. Chez les gens de peu de goût, très souvent on demande qui je suis après m'avoir exterminé. N'est-ce pas là un trépas ridicule? Anonyme de son vivant, dévoré sans même que notre bourreau ne nous connaisse? Qu'ai-je donc fait pour mériter cela?
Pourtant je ne fais rien de mal, au cours de mes journées. Je reste dans ma boîte, avec tous mes semblables. Ensemble on discute, de tout et de rien. Récemment on nous a installé de quoi boire le thé, puisque nous sommes anglais, parait-il. Pourtant, la seule langue que je connaîtrai sera celle de mon futur assassin, sous laquelle je fondrai, et qui prendra un malin plaisir à varier les tortures.
Le plus jeune, encore dépourvu de dents, m'inondera de bave ou me réduira en miettes. La cruauté des hommes n'attend pas le nombre des années. L'adolescent m'avalera tout cru, en douce, en cachette des parents. L'adolescente m'avalera tout cru, en douce, mais le regrettera. Elle me maudira, moi et tous mes congénères, de l'avoir rendue grosse et laide, nous, sources de tous les maux. Quel destin je peux avoir... Et plus sages seront mes pourfendeurs humains, plus discrètes se feront leurs sévices: je ne sais pas ce que je préfère au fond.
Tant de façons différentes de mettre fin à mes jours! Pourtant je suis jeune, aimerais-je te dire. De mémoire de bonbon, tu sais, je n'ai connu que toi. Parfois je vois tes amis, qui ne me choisissent pas. Fais de moi ton bonbon, ton objet, ton chouchou. Je veux être à la fois ta moitié, ton double et ton unique...
Mais dès que tu sauras que derrière le papier, il se cache un plaisir plus ou moins sucré, tu n'auras qu'une hâte, c'est d'assouvir ton besoin primaire. Non pas ta faim, car souvent tu ne me mangeras que par gourmandise. Mais celui de détruire l'objet de ta convoitise: de le cristalliser jusqu'autant que possible, avant de le casser quand tu le souhaiteras.
J'espère que tu ne fais pas subir à ceux que tu aimes les mêmes châtiments que tu me fais à moi. Mais je ne suis qu'un bonbon, je ne sais sans doute pas que l'amour des hommes ne fonctionne pas comme cela.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire