vendredi 7 mars 2014

La boîte à images


Ce qu'on appelle suivant les âges "la discothèque", "la boîte"," le dancefloor" va subir un vertigineux crescendo sonore et visuel. D'abord le cliquetis des pièces de monnaie rangées dans les caissons des hôtesses complètera la brillance des verres, empilés avec un ordre militaire sur le comptoir central. Puis viendra un bourdonnement, celui des premiers clients, assoiffés de musiques et de femmes bruyantes, avec un scintillement des mêmes verres dû aux spots allumés pour chauffer la salle. Ensuite des voix casseront d'avantage l'ordre initial, celles des vigiles, videurs, barmaids, gérants, disc-jockeys qui échangeront leurs impressions banales sur cet événement dansant non moins original; la salle brille alors de mille feux multicolores. Enfin le chaos, la cohue se faisant inarrêtable, la soif de coca, de vodka, et de fracas se manifestant par des cris hystériques, et les spotlights qui éclatent toutes les rétines de leurs...

FLASH !

Les silhouettes se laissent entrevoir dans les éclairages stroboscopiques : la fille au corps de rêve et, à côté, celle que je trouve belle, ondulent au rythme des b.p.m. Boom, boom, pow! Leurs formes dessinent des symboles dans la salle. Venant couper ce ballet d'ombres chinoises, le garçon qui remue des épaules, et des bras, et celui qui transpire l'incertitude de trouver une réelle grâce masculine et qui a l'air perdu parmi tous ces danceurs.

FLASH !

Celle qui est grosse. On ne voit qu'elle, pour des raisons anatomiques et morales : on la trouve toujours trop à l'aise et pas assez à sa place au milieu de toutes ces irrévérencieuses pimbèches péroxydées. Jamais on ne se dira qu'elle a peut-être déjà le bonheur dans sa vie amoureuse, qu'elle vient simplement ici retrouver ce qui existait aux origines, de l'évasion par la danse, de l'expression scénique, plutôt que ce jeu implicite de séduction dont les manches sont les scratches du DJ.

FLASH !

Ces petits gestes ponctuels par milliers qui rendent, pour celui qui sait ressentir, ces soirées identiques. La jeune femme alcoolisée qui tombe à la renverse pour la raison précitée, et qui, la seconde d'après, et de retour sur la piste en dansant comme si c'était sa dernière danse. Les bagarres, les querelles de gorilles en polo Dolce & Gabbana qui n'ont pour sujet que le contenu d'une bouteille ou d'un soutien-gorge. Les mains baladeuses, dont les deux sexes sont coupables, qui sont toutes présumées innocentes, tous leurs destinataires les définissent officiellement comme inopinées, mais cherchent d'un regard en coin à la personne frôlée, une avance, une justification à cet acte manqué, comme un préliminaire pour que la main ne frôle plus, mais effleure, puis caresse, puis saisisse sa proie.

FLASH !

Celle que je regarde, que je fixe. Une victime, parmi tant d'autres, de ce jeu de mains que je n'ai jamais cautionné. Je ne comprends pas qu'elle puisse tomber dans ce piège. Est-ce cela, s'amuser ? Est-ce qu'en 2009, on prétend qu'une jeune femme s'amuse quand elle se laisse tripoter par quelqu'un qu'elle ne connaissait pas il y a une heure ? Alors les spotlights disparaissent, la seule musique que j'entends est celle de mon cerveau, qui bat plus vite que les arrangements du dernier titre de Lady Gaga. Je me dis, avec dépit, que tous ces empaffés à gel capillaire qui m'entourent sont dans le vrai. Tous des hommes en puissance. Prendre une fille par le cuissot, lui faire sentir la protubérance vestimentaire causée par sa bite, c'est ça être un homme. Un vrai. J'enrage intérieurement, je bous : jamais ! Jamais je ne saurai me résoudre à ce genre d'idioties ! Une jalousie presque amoureuse m'étreint. Pour se noyer dans un verre de vodka-pomme.

FLASH !

FLASH !

FLASH !

...

Après le quart d'heure américain, se dire que cette explosion sensorielle que vous connaissez tous ne laissera rien. Ou plutôt, elle laissera ce que laisse une autre explosion sensorielle que vous connaissez tous, quand elle est faite trop vite. On matérialise l'acte sexuel sur une piste de danse, le rythme est élevé, très élevé, et tous les gens autour sont en train de faire la même chose, dans une saine compétition, mais une compétition quand même. Les mouvements de va-et-vient du terrain de jeu prennent un autre sens, les cris d'hystérie représentent cette jouissance mêlée de douleur qu'une femme peut ressentir quand on la viole. Et que restera t'il de cette party ?

Comme à chaque fois dans ces cas-là, l'homme aura l'extase, et la femme une frustration.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire